Lettre ouverte à Madame de La Raudière

Madame la Députée,
Je vous remercie d’avoir répondu, par lettre circulaire, à mes remarques concernant l’amendement adopté en commission paritaire mixte et substituant l’avis “simple” à l’avis “conforme” de l’architecte des bâtiments de France dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager.

Cet amendement, contrairement à ce que vous évoquez, pose des problèmes de fond qui ne sont nullement liés à des questions de “modernisation” des procédures ou de gestion des délais d’instruction des autorisations.

En premier lieu, on doit rappeler que les règlements des ZPPAUP, comme tout règlement, fixent seulement les cadres au sein desquels les projets peuvent être élaborés, évalués et appréciés.

Car l’architecture, comme la préservation des paysages, ne relève pas d’une application mécanique de dispositions réglementaires. Sinon, cela se saurait !

Il en est de même que pour les règles de syntaxe, de grammaire et d’orthographe ; leur emploi rigoureux n’assure pas une production littéraire.

Toute rêgle, comme toute loi, exige l’intervention du “juge” qui tient compte des particularités de chaque situation pour définir les modalités de l’application. D’ailleurs, lors de la création des ZPPAUP où des secteurs sauvegardés, dans sa sagesse, le législateur a prévu l‘“avis conforme” comme pièce indispensablement liée à ces procédures. Car c’est le seul moyen de rendre intelligente l’application d’un règlement.

En second lieu, il convient d’aborder la question des prérogatives et des compétences.

À tort ou à raison, des professionnels, en l’occurrence les architectes des bâtiments de France, supposés avoir une culture et une sensibilité en matière d’architecture et de paysage, ont la charge d’évaluer les projets, évidemment dans les cadres réglementaires régissant les zones protégées.

Réduire leur jugement au statut d’un avis simple équivaut à remettre cette charge d’arbitrage entre les mains des maires dont je ne conteste nullement la légitimité politique. Mais cette légitimité ne préjuge pas nécessairement d’une compétence professionnelle.

Si c’est la compétence des architectes des bâtiments de France qui est en cause, il faut se pencher sur leurs recrutement, formation, moyens et aptitudes à assurer la mission que l’État leur a confiée.

Mais l’on constate souvent que, de fait, ils servent de “boucs émissaires” auxquels on reproche ce qu’ils interdisent, comme ce qu’ils autorisent.

Certes, dans le contexte actuel où l’architecture et l’urbanisme traversent une période de tâtonnements qui est souvent schématisée de façon polémique comme un débat entre les “anciens” et les “modernes”, bon nombre d’architectes se réjouissent de cet affaiblissement du contrôle, le considérant comme une mesure libératoire favorisant la création.

Mais de fait, c’est toute la profession qui voit ainsi la reconnaissance de ses différentes compétences affaiblie, car priver l’architecture de débat, y compris entre les “anciens” et les “modernes”, c’est la priver d’une source de création.

Enfin, une considération annexe, mais réelle si l’on entend les propos de maires qui se sont exprimés depuis le vote de votre amendement : souvent soumis aux sollicitations de leurs électeurs, ils trouvent avantage à s’en remettre à l’arbitrage de l’architecte des bâtiments de France. L’amendement a été adopté par l’Assemblée nationale et ses tenants ont eu gain d’une (mauvaise) cause. Espérons que ce processus du laisser-faire s’arrêtera là.

Je vous prie de croire, Madame la Députée, en l’expression de mes distingués sentiments.

Alexandre Melissinos
Urbaniste-architecte

POST-SCRIPTUM À LA LETTRE DE JUIN 2009
Au-delà de la conjoncture, on doit insister sur l’enjeu culturel que posent les événements.

La suppression de l‘“avis conforme” en ZPPAUP ne concerne pas seulement les architectes des bâtiments de France, mais toute la profession.

De quelle reconnaissance de la compétence de l’architecte fait-on preuve aujourd’hui ?

Entre les élus et leurs intérêts électoraux, les promoteurs et leurs intérêts financiers, les bureaux techniques et leurs réponses standardisées, des réglementations parfois établies de façon sommaire… la reconnaissance de la compétence de l’architecte se voit sans cesse diminuée et, de ce fait, sa compétence elle-même tend à s’amenuiser.

La protestation contre la suppression de l’avis conforme devrait donc érmaner de toute la profession (quels que soient ses débats), et pas seulement des milieux du “patrimoine” que l’on a depuis quelque temps tendance à oublier et à pervertir, alors que la demande pour sa protection est sans cesse croissante auprès des habitants.

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